Evaluez-le et prévoyez son suivi
Une fois que le processus d’accessibilité a été mis en place, il faut prévoir, pour pouvoir le mener à son terme et l’améliorer par la suite, une manière de l’évaluer avec le public ou les partenaires qui ont été engagés dans le projet. Parfois on met quelque chose en place, parfois on ne le fait pas, et dans la plupart des cas, on a tout intérêt à recueillir les plaintes et à les écouter pour en tenir compte soit dans l’immédiat, soit par la suite.
Dans le cas d’une visite guidée au musée ou d’une adaptation au théâtre, les personnes sourdes et malentendantes n’osent pas toujours exprimer ce qu’elles pensent de l’adaptation, surtout si elles veulent encourager l’initiative de départ et ne pas paraître défaitistes, ou ne pas vexer l’interprète ou une personne qu’elles connaissent et qu’elles fréquentent régulièrement.
Et pourtant, elles ont bel et bien une opinion sur l’expérience qu’elles viennent de vivre et elle est rarement positive à 100%.
Il y a aussi des cas de figure où, généralement, on ne prévoit pas de système d’évaluation en relation directe avec le public parce que c’est une adaptation à large échelle. Cela concerne par exemple l’accès aux services d’urgence ou l’accès à un service public ou encore le sous-titrage à la télévision.
Et dans l’autre sens, lorsque les personnes sourdes et malentendantes découvrent qu’un nouveau service est accessible ou que l’on fait des efforts pour s’adapter à elles, elles n’osent pas toujours faire part de leurs remarques négatives. Parfois elles le font mais leurs observations ne sont pas prises en compte pour diverses raisons. La première est souvent le manque de moyens financiers ou humains pour améliorer la situation à court terme. Le danger est alors parfois de s’enliser dans une situation sans réussir à dégager de nouvelles perspectives d’évolution et d’oublier les remarques formulées au départ.
C’est un cercle vicieux, car si l’offre de service n’est pas améliorée, elle est moins utilisée par les personnes sourdes/malentendantes et au bout d’un moment, on s’aperçoit que la fréquentation du service stagne ou ne s’accroît pas comme elle aurait dû.
Comment faire ?
Dès la construction de votre projet, pensez à intégrer l’évaluation, la récolte et la gestion des plaintes.
En fonction de la situation à évaluer, l’évaluation peut se faire de plusieurs façons différentes :
- par l’organisation de rencontres collectives
- par la création et la diffusion de questionnaires d’évaluation adaptés
- par la mise en place de points de contacts spécifiques et aisément accessibles
- par la tenue d’une série d’entretiens individuels
Et dans l’ensemble, quelques pièges seront à éviter.
Organisation de rencontres collectives
Vous pouvez organiser des rencontres collectives où vous invitez les personnes sourdes et malentendantes à donner leur avis. Cela peut aussi être l’occasion pour vous de répondre à certaines interrogations, et d’ajuster votre projet ou la communication de votre projet en conséquence.
Vous pouvez le faire en toute indépendance mais pour maximiser vos chances d’avoir du public, pensez à vous associer à un centre de rencontres pour sourds et malentendants ou la Fédération Francophone des Sourds de Belgique. Pensez aussi à la technique d’animation que vous allez employer afin d’éviter que l’une ou l’autre personne concernée par la question mise sur la table, ne monopolise la parole et n’empêche d’autres personnes de s’exprimer. Cela vous permettra aussi de pouvoir aborder de nombreuses questions même sur un temps plus court. Vous pouvez vous faire aider par des animateurs ou des médiateurs ayant l’expérience du public sourd/malentendant.
Il va de soi que vous devrez probablement, si une partie du public ou des intervenants est entendante ou non signante, prévoir de faire appel à un interprète en LSFB-français.
Les rencontres collectives permettent aux personnes sourdes et malentendantes d’exprimer leur avis de façon nuancée et approfondie. Et à vous, elles vous permettent de récolter un maximum d’idées, dont l’opinion généralement jugée dominante. Cependant elles ne peuvent pas se faire à volonté ni chaque année, à moins de constituer un groupe de travail spécifique avec le public sourd et malentendant, ce qui n’est pas facile non plus. Heureusement il y a d’autres options et il est possible d’en cumuler plusieurs.
Questionnaires adaptés
Une solution régulièrement envisagée, mais qui, dans les faits, ne fonctionne généralement pas très bien si elle n’est pas adaptée, c’est la création d’un questionnaire, soit en ligne, soit distribué sur le papier au terme de l’activité ou de l’usage du service. Elle peut fonctionner si le public sourd que l’on vise est un public lettré, ce qui peut être dommage et discriminant pour le public sourd illettré. Pour ces derniers, il faut envisager de faire traduire le questionnaire en LSFB. Cela a déjà été fait avec succès.
Un questionnaire permet de poser des questions précises, avec des questions ouvertes ou fermées, avec ou sans choix multiple de réponses. Attention cependant avec les questions ouvertes, les personnes sourdes illettrées ne sont pas à l’aise avec l’écrit et peuvent éprouver des difficultés à exprimer leur opinion de cette façon. Une solution possible à cet obstacle serait de mettre en place un petit programme qui permet à la personne d’enregistrer son commentaire directement en LSFB sur le site Internet qui recueille les réponses au questionnaire. La plupart des personnes sourdes qui ont un accès à Internet sont également équipées d’une webcam.
Le questionnaire peut être diffusé de nombreuses manières. Si on pense à le diffuser au terme d’une activité on peut envisager d’utiliser les QR-Codes pour inviter les personnes à consulter sa version en ligne.
Points de contact spécifiques
Votre organisation aura sans doute dû penser à un moyen de contact approprié au public sourd et malentendant (voir la page consacrée à la diffusion). Si vous avez pensé à tout, vous pouvez renseigner les moyens de contact en question mais aussi créer une adresse e-mail ou un espace spécifique sur votre site consacré à l’envoi de remarques ou de signalements.
A posteriori, vous devrez organiser le suivi de ces remarques. C’est pourquoi, disposer au sein de votre équipe, d’une personne qui maîtrise LSFB langue des signes de Belgique francophone et peut prendre en charge les échanges avec le public sourd, par vidéo ou face à face, est un atout à ne pas négliger. Une autre option est possible : en général, il est conseillé de mettre en place une personne de référence pour tout ce qui concerne l’accessibilité. Cette personne peut être votre contact spécifique. Et cette dernière personne peut aussi connaître la LSFB. Cela permettra à votre projet de grandir et d’évoluer en fonction du public auquel il est destiné.
Plusieurs entretiens individuels
Une organisation publique a organisé une consultation du public sourd/malentendant à l’occasion de la Journée Mondiale des Sourds en 2015. La consultation s’est faite tout au long de la journée. Elle était individuelle, et les réponses données en LSFB étaient interprétées en français en direct par une interprète dépêchée sur place. La consultation a été filmée par les enquêteurs qui ont ainsi collecté à la fois les avis exprimés en LSFB et leur interprétation en français. Ce type de consultation a permis à l’organisation d’avoir un retour bien précis sur le service qu’ils offraient. Ils se sont aperçus que le taux de mécontentement était largement supérieur à ce qu’ils avaient imaginé au départ. Cela démontre que les méthodes traditionnelles d’évaluation mises en place par l’organisation pour le tout public étaient insuffisantes ou inadéquates pour le public sourd et malentendant.
Ce type de consultation présente l’intérêt de réunir un maximum d’avis individuels dans un laps de temps relativement bref, en n’engageant un interprète qu’une seule fois, de récolter des avis à partir de la LSFB et de pouvoir les exploiter directement.
Il n’est pas nécessaire d’attendre la Journée Mondiale des Sourds pour réaliser ce type d’initiatives, il y a d’autres rassemblements régulièrement dans l’année, où de nombreuses personnes sourdes de la communauté sourde se retrouvent, les barbecues annuels des associations, les banquets de fin d’année, les rencontres sportives,…
Attention aux pièges
Le public le plus difficile à toucher pour les évaluations est celui des personnes sourdes, malentendantes, qui le sont devenues au cours de leur vie et/ou qui n’ont pas intégré la communauté sourde. Ces personnes ne connaissent pas toujours les adaptations qui sont mises en place. Les réseaux sociaux peuvent être un moyen de toucher ces personnes, en utilisant la page de votre organisation ou en faisant jouer le partage des publications en ligne.
Là aussi, on aurait intérêt à avoir de véritables statistiques de la population sourde et malentendante. Cela permettrait de savoir si le service concerné tourne avec le bon ratio de personnes sourdes et malentendantes qui sont censées le fréquenter (on peut supposer que le ratio acceptable est équivalent à celui du grand public). Cela permettrait de savoir si la communication et l’évaluation vers ce public sont suffisantes.
Attention à ne pas tomber dans le piège de mettre en place des adaptations qui ne sont accessibles que par la communauté sourde bien informée ou moyennant une inscription préalable alors que le service est, par défaut, ouvert au grand public. Et quand bien même on le ferait, il faut quand même penser à utiliser les canaux de diffusion (renvoyer vers la fiche) traditionnels (presse, journaux des mutuelles, communes,…)
Par exemple : la base de données du Centre de Crise, BeAlert à laquelle il faut être inscrit pour pouvoir recevoir les alertes par SMS en cas de situation de crise. Ou encore l’obtention des numéros d’urgence spécifiques pour les personnes sourdes et malentendantes où il faut également s’inscrire à l’avance pour les obtenir. On pense aussi au sous-titrage qui est accessible seulement par ceux qui connaissent le système du télétexte et qui n’est pas directement disponible à l’écran comme c’est le cas dans bien des pays.
Les systèmes d’inscriptions préalables permettant de savoir combien de personnes utilisent le service sont tentants pour les organisations mais ils sont à eux-mêmes un frein à l’accessibilité sans restrictions du service.